Personne ne sait
Personne ne sait jamais ce qui se cache derrière le visage de chaque individu. Une épreuve, ce n'est pas qu'un mot qu'on défini simplement sur quelques lignes dans le Petit Robert. Une épreuve, un drame, ça se vit. Ça fait mal peu importe la blessure qui nous marque. Reste qu’une fois qu'on sait, notre regard de petit peuple se permet quand même trop souvent de juger.
Pour ma part, je m'ouvre tranquillement et plus je m’ouvre, plus je m’assume. Mon drame je le revis quand, à travers une discussion, je réussie à m'ouvrir juste assez pour faire comprendre des bribes du passé qui m'a forgé. Je sais que c'est dur à croire, même pour moi. Parce que je fais partie de celles qui porteront un masque à jamais. De celles qui n’auront pas l’air d’avoir vécu tout ça. Je suis bien, vraiment bien. Mais il me revient quand même souvent à l'esprit toutes ces nuits à m'endormir en me demandant de quelle façon j'allais mourir. En essayant de calculer combien de jours il me restait.
J'avais 16 ans quand ça a commencé.
J'avais 16 ans et ma vie n'avait rien d'extraordinaire. Un an plus tôt, mon premier amour m'avait quitté. Ce fut ma première grande douleur, mais elle était clairement plus "normale" dans un parcours de jeune fille.
Quatre semaine après avoir accepté les bras d'un vautour déguisé en remède, je tombais enceinte. Puis, sans trop savoir comment j’en étais arrivée là, comme si je m’étais endormie doucement dans ma peine, je me suis réveillé dans un cauchemar. Le temps passait et j’avais alors 17 ans quand c’est arrivé, la première fois qu’il m’a traité de pauvre conne. J’étais devenue sa pauvre conne et je portais son enfant. Je me suis rendormie. Comme pour fuir ma réalité.
Je me suis réveillé à nouveau quand j’ai réalisé que ce n’était pas un cauchemar. C’était bien réel. J’avais quitté l’école. J’étais désormais isolée de ma famille, de mes amis, de tout ce qui aurait pu me servir de perche pour m’en sortir. Son premier coup de point qui m’a fracassé le corps, je l’ai reçu en plein visage. Mais ce qui m’a fait le plus mal ce sont les mots, les crachats qui atterrissaient sur ma peau. Ce qui s’ajoutait à ma douleur, c’était mon regard de détresse qui se plongeait désespérément dans le sien qui restait de glace.
Alors, j’ai eu 18 ans. Je devenais adulte qu’on disait. Pendant que mes amis, eux, devenaient rien de plus qu’un souvenir lointain et qu’ils s’appropriaient leurs vies à grand coup d’expériences trépidantes, moi j’avais ce soir-là, un couteau sous la gorge. Mon cadeau, ma perle, mon trésor et ma seule raison de vivre faisait dodo dans sa chambre et moi je feignais d’être morte, couchée sur le sol et encaissant les coups, à juste espérer qu’il se calme. À partir de cette nuit-là, je ne me suis plus jamais rendormie.
Recroquevillée sur le plancher froid de la cuisine, je me suis cachée pour laisser aller les larmes, enfin. Je me suis questionnée sur l’amour. Était-ce vraiment ce que je valais? C’est là que pour la première fois, j’ai revu le doux regard pâle de mon premier amour se poser sur moi. Il ne le sait pas, mais c’est un peu grâce à comment il m’a aimé que j’ai pu comprendre que je pouvais être aimée. J’avais trouvé ma perche et je m’y suis accrochée. Pour de bon.
Ma première peine, elle m’a ironiquement apporté l’espoir qu’il me fallait pour me sortir de cette épreuve-là. Si je ne l’avais pas vécu, je n’aurais pas pu m’accrocher à toutes ces fois où il m’a fait sentir importante et belle. Je n’aurais pas pu comprendre que l’amour ne frappait pas. Il m’avait laissé, il m’avait brisé le cœur, mais il m’avait aussi apprit le respect d’une femme.
On ne sait pas toujours ce qui suivra. On s’arrête souvent en maudissant la vie et les drames qu’elle nous fait vivre. C’est dur à croire, mais on doit les vivres, car ce sont ces drames qui nous outillent aussi pour les prochains qui viendront.
Tout ces visages qu’on croise cachent un passé. Qu'ils soient voilés de #metoo ou d’histoires de violences, de peines ou de secrets, personne ne sait. Personne ne saura jamais assez du vécu d’une autre pour pouvoir se permettre de juger. Ni par le mépris. Ni par la pitié.
Ce n’est qu’un petit morceau du casse-tête de ma vie. Cette période m’a fait mal, mais elle a contribué à devenir celle que je suis aujourd’hui. Elle fait que devant mes épreuves actuelles, je sais rester sereine et focusser sur l’essentiel de ma vie. J'aurai 30 ans dans quelques semaines et peu importe l'épreuve, je sais maintenant m'épanouir malgré elle.
Toi, ton passé t’a forgé à ta façon et si ton présent ne te convient plus, sache qu’il est temps que tu t’accroches et que tu trouve ta perche.
Marie-Soleil English